L'appartement de la rue Custine
L'appartement du 4ème gauche du 28 de la rue Custine donnait sur une cour intérieure. Pas de fenêtre sur rues. Le plancher lisse luisait dans l'ombre; sa pente vers la cour lui donnait un air de décor de film expressionniste allemand. Personne n'aurait pu jouer aux billes, ici.
L'intérieur était peu meublé, un buffet rustique dans le salon, une table en chêne et un fauteuil au cuir élimé constituaient l'essentiel. L'opaline du plafonnier laissait filtrer une lumière pastel qui n'éclairait pratiquement que la table, au centre de la pièce. Un tapis brun-rouge traduisait l'usure du temps et les passages répétés entre la table et le fauteuil. Au mur, pas de tableaux, une photo racornie d'un parent perdu, une coupure de presse jaunie, fixée par deux punaises. Quelques livres traînaient sur le buffet et sur le sol près du fauteuil. Sur l'accoudoir, un cendrier dans lequel fumait doucement une pipe de bruyère.
Josephine regardait tout cet attirail avec une sérénité triste. Mon Dieu, pensa-t-elle, comment peut on vivre ici? Comment envisager l'espace d'un seul instant un possible bonheur dans une telle atmosphère? Cela manquait de tout ce qui pouvait rendre la vie agréable. Quelques fleurs, par exemple, ou bien des rideaux jaunes.
Et puis, cette terrible lumière, ou plutôt cette absence de lumière, donnait à l'appartement un air si lugubre! Il aurait fallu changer ce lustre, installer un halogène, cirer le parquet, mettre un nouveau tapis, virer le buffet, et puis ... et puis, ... Et puis zut. A quoi bon ! Personne ne jouerait plus jamais aux billes ici. Elle le savait depuis longtemps déjà.
Alors Joséphine resserra sa robe de chambre de laine et se laissa choir dans le vieux fauteuil en soupirant longuement. Le cendrier vacilla, la pipe tomba sur les volumes Gallimard jaunis répandant des cendres brûlantes sur le tapis et le parquet. Elle ne bougeait pas, songeant que cela pourrait bien l'arranger finalement. Joséphine s'endormit paisiblement pour la première fois depuis vingt ans.
Jef